- OCCITANES (LANGUE ET LITTÉRATURE)
- OCCITANES (LANGUE ET LITTÉRATURE)Dans le cadre de sa typologie linguistique, l’occitan ou langue d’oc correspond, parmi les langues romanes ou néo-latines, à un complexe parfaitement délimité, au même titre que le français, le franco-provençal, l’italien, l’espagnol, le portugais, le sarde, le roumain, le rhéto-frioulan et, parmi les langues mortes, le dalmate. À l’intérieur d’un domaine linguistique plus limité, celui de la Gallo-Romania , il constitue le gallo-roman méridional, face au français et aux dialectes d’oïl qui représentent le gallo-roman septentrional, le franco-provençal correspondant à une aire linguistique intermédiaire, mais dans l’ensemble plus oïlique qu’occitane. Le concept de gallo-roman peut être élargi: en y incluant, d’une part, le gallo-roman «cisalpin» (rhéto-frioulan et dialectes de l’Italie du Nord) et, d’autre part, un ensemble occitano-roman comprenant aussi le catalan.D’un point de vue socio-culturel, l’occitan est sans nul doute, de tous les idiomes romans, celui qui a connu le destin le plus aventureux. Langue d’une ethnie qui n’a pu se constituer en nation, son histoire est la quête constante d’une prise de conscience que les impératifs les plus divers ont constamment remise en cause. La désignation d’occitan, utilisée par l’administration royale dès le XIVe siècle (lingua occitana, patria linguae occitanae ) par opposition à la lingua gallica qui désignait le français, a connu une nouvelle consécration au début de ce siècle: elle est infiniment préférable à celle de provençal qui tend de plus en plus, à cause de son ambiguïté, à être réservée au seul dialecte de Provence.Au Moyen Âge, la langue d’oc a été une grande langue de civilisation. À la fois langue littéraire (poétique particulièrement, avec la prodigieuse lyrique des troubadours) et langue véhiculaire (avec la fixation d’une langue juridique et administrative, parfaitement dégagée du latin, qui restera solide jusqu’au XVe siècle), elle a été l’expression d’une communauté humaine originale et le support d’une culture d’une fécondité remarquable.À la fin du XVe siècle toutefois, et surtout au début du XVIe, les positions de l’occitan administratif commencent à être ébranlées: d’une manière progressive, certes, et plus ou moins accentuée selon les régions. L’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), qui instaure le monopole de la seule langue française pour tous les actes publics, a donc été plus souvent la consécration d’un fait que sa cause réelle. Malgré une intéressante renaissance littéraire, au XVIe siècle, sous le signe du pétrarquisme, la langue d’oc est désormais socialement atteinte et ne poursuivra plus qu’une vie culturelle larvée, avec néanmoins un usage populaire extrêmement vivace jusqu’à la Révolution.Il faut en fait attendre le XIXe siècle, avec le félibrige (1854) et la postérité mistralienne, et le XXe siècle, avec la vision linguistique originale de l’Institut d’Estudis Occitans (la Gramatica occitana de Louis Alibert est de 1935, son Dictionnaire occitan-français , posthume, de 1966), pour voir se dessiner nettement un nouvel essor culturel, et même véhiculaire, de la langue. Désormais, la langue et la littérature occitanes contemporaines sortent du régionalisme pour prétendre à la dignité d’une culture ethnique pleinement consciente.La langue occitaneLes grands traits typologiques de l’occitanLes traits typologiques de l’occitan présentés ici, évidemment de manière sélective, concernent essentiellement l’occitan moyen. Ils ont en outre été choisis en fonction de leur caractère oppositionnel face au français.PhonétiqueLe vocalisme se caractérise par la chute gallo-romane des voyelles finales atones autres que -A: M RU 礪 mur , FL 拏RE 礪 flor , mais P face="EU Caron" サRTA 礪 pòrta , par l’absence de diphtongaison romane «spontanée»: C face="EU Caron" サR 礪 còr , P face="EU Caron" ガDE 礪 pè mais diphtongaison conditionnée: L face="EU Caron" ガCTU 礪 lièit , N face="EU Caron" サCTE 礪 nuèit ; B face="EU Caron" サVE 礪 buòu , par le maintien de la diphtongue AU : CAUSA 礪 causa , AUS RE 礪 (g )ausar et par la palatalisation gallo-romane du latin (face=F0019 礪 [ü]): L NA 礪 luna , MAT RUS 礪 madur.Le consonantisme se définit par l’absence de palatalisation de CA- et de GA- (sauf en nord-occitan): CANT RE 礪 cantar , GALLU 礪 gal (mais nord-occitan: chantar , jal ), par la chute de l’-n «instable», sans traces de nasalisation (sauf en gascon et provençal): PANE 礪 [pa], V 稜NU 礪 [bi], B face="EU Caron" ガNE 礪 [bé] (graphie: pan , vin , ben ), par la vocalisation du [d], dans le groupe intervocalique -DR-, qui devient [y]: CR 勒D face="EU Caron" ガRE 礪 creire , RAD face="EU Caron" ガRE 礪 raire ; PATRE 礪 paire , LATR 拏NE 礪 lairon, par le passage de - D- intervocalique primaire à [z] (ou amuïssement en nord-occitan): S D RE, 礪 susar , N DA 礪 nusa , LAUDAT 礪 lausa , par la conservation (localisée) des anciennes affriquées romanes: DI face="EU Caron" ズRNU 礪 jorn [d face="EU Caron" ゼur/dzur], J face="EU Caron" ガCT RE 礪 getar [d face="EU Caron" ゼéta/dzéta], G face="EU Caron" ガLU 礪 gèl [d face="EU Caron" ゼèl/dzèl], par la palatalisation du groupe [yt] 麗 -CT- (sauf pour le gascon et les parlers limitrophes): FACTU 礪 fait /fach , FACTA 礪 facha , LACTE 礪 lach , L face="EU Caron" ガCTU 礪 lièch et par la solidité des consonnes finales (du moins en gascon et en languedocien): prat , prats ; amic , amics ; lop , lops.MorphosyntaxeÀ l’étape ancienne, il y a maintien de la déclinaison gallo-romane à deux cas; cas-sujet: lo murs (singulier), li mur (pluriel) / cas-régime: lo mur (singulier), los murs (pluriel); on trouve aussi un conditionnel synthétique en -ra , remontant au plus-que-parfait de l’indicatif latin: type cantèra 麗 CANTA(VE)RAT, agra 麗 HABUERAT, degra 麗 DEBUERAT (à côté de: cantaria , auria , deuria ).Prétérit à infixe -G- dans les parfaits latins en - I: D 勒BU 稜 礪 dec , V face="EU Caron" サL face="EU Caron" ズ 稜 礪 volc , B face="EU Caron" クB face="EU Caron" ズ 稜 礪 bec (moderne deguèri , volguèri , beguèri ). L’objet direct personnel possède un a introductif (gascon et parlers limitrophes): l’aimi AL mieu paire «je l’aime à mon père». On emploie le subjonctif présent dans les subordonnées à sens futur introduites par un relatif ou une conjonction (limité aujourd’hui au gascon): quan venga, cantarà «quand il viendra, il chantera» (de même en ibéro-roman). L’article défini est utilisé comme démonstratif: lo que parla «celui qui parle», la que canta «celle qui chante» (ainsi en ibéro-roman). Le subjonctif présent peut marquer la prohibition (impératif négatif): (non ) cantes pas «ne chante pas», (non ) vengas pas «ne viens pas» (ainsi en ibéro-roman).LexiqueComme pour la phonétique et la morphosyntaxe, le lexique de l’occitan (et aussi de l’occitano-roman dans son ensemble) occupe une position intermédiaire entre le gallo-roman et l’ibéro-roman. Pour certains types lexicaux, il s’inscrit nettement dans le cadre du gallo-roman: le cas du catalan est symptomatique à ce sujet.Exemple type TR face="EU Caron" サP RE (face=F0019 礪 occitan et catalan trobar , français trouver ) / ADFL RE (face=F0019 礪 espagnol hallar , portugais achar ); F face="EU Caron" ガN face="EU Caron" ガSTRA (face=F0019 礪 occ. cat. finestra , franç. fenêtre ) / VENT NA (face=F0019 礪 (esp. ventana ); V face="EU Caron" サL 勒RE (face=F0019 礪 occ. cat. voler , franç. vouloir) / QUAER face="EU Caron" ガRE (face=F0019 礪 esp. portug. querer ); PARAULARE (face=F0019 礪 occ. cat. parlar , franç. parler ) / FAB L RE (face=F0019 礪 esp. hablar , portug. falar ); MAND C RE (face=F0019 礪 occ. manjar , cat. menjar , franç. manger ) / COM face="EU Caron" ガD face="EU Caron" ガRE (face=F0019 礪 esp. portug. comer ); APUD «avec» (face=F0019 礪 occ. cat. ab /amb , anc. franç. o ) / CUM (face=F0019 礪 esp. con , portug. com ), etc.Pour d’autres types lexicaux, en revanche, l’occitano-roman fait cause commune avec l’ibéro-roman et se sépare nettement du français, qu’il s’agisse de mots d’origine latine ignorés du français (occ. armòl , esp. armuelle «arroche»; afartar , hartar «rassasier»; borrèc , borrego «agneau d’un an»; calar , callar «se taire»; campana , campana «cloche»; flac , flaco «faible»; garganta , garganta «gorge»; laganha , lagaña «chassie»; lairar , ladrar «aboyer»; lenha , leña «bois de chauffage»; pèrna , pierna «fesse, jambe»; òrt , huerto «jardin»), ou de mots spécifiques (fonds aquitano-pyrénéen: andralh , andrajo «guenille»; bruèissa , bruja «sorcière»; esquèr , izquierdo «gauche»; morre , morro «museau»; toja , tojo «ajonc épineux»), ou encore de termes de provenance arabe inconnus de la langue d’oïl (alcavòt , alcahuete «entremetteur»; alquitran , alquitrán «goudron»; taüt , ataúd «cercueil»).Les dialectes occitansL’ensemble occitan présente trois inflexions dialectales spécifiques: le nord-occitan, l’occitan moyen et le gascon (cf. carte).Le nord-occitan est essentiellement caractérisé par la palatalisation ancienne, de type oïlique , de CA et de GA latins en [tša] et [d face="EU Caron" ゼa]: CANTAT 礪 chanta , GALLUS 礪 jal. Le nord-occitan comprend: le limousin (qui couvre le nord du département de la Dordogne, la Corrèze, la Haute-Vienne et la Creuse), l’auvergnat (nord du Cantal, Puy-de-Dôme, Haute-Loire) et le provençal alpin (Ardèche, Drôme, Hautes-Alpes, nord des Alpes-de-Haute-Provence).L’occitan moyen est le groupe de parlers le plus conservateur, le moins éloigné de la langue classique du Moyen Âge, le plus directement accessible à l’ensemble des occitanophones, également distant des évolutions poussées du nord-occitan et de la spécificité atavique du gascon. Il peut se diviser à son tour en deux complexes dialectaux: le languedocien , qui est l’occitan par excellence, et le plus important géographiquement, et le provençal , que sa fortune particulière a servi au XIXe siècle.Le languedocien est approximativement limité à l’ouest par la Garonne (limite de l’aire du gascon), au nord par le nord-occitan (limite cantar /chantar ), à l’est par une bande interférentielle entre le Vidourle et le Rhône (limite de l’aire du provençal); soit les départements suivants: Aveyron, Lot, Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne, Tarn, Aude, Hérault et, partiellement: Lozère, Haute-Garonne, Ariège, Gard, Dordogne, Cantal, Pyrénées-Orientales, Gironde.Le provençal est dû, en fait, à une surévolution relativement récente (à partir du XVIe s.) qui l’a détaché du languedocien et a achevé de lui donner son visage actuel. Le trait le plus significatif (mais non exclusif) est l’amuïssement des consonnes finales (en particulier -s du pluriel), ce qui amène certaines restructurations morphologiques inconnues du languedocien. Le provençal recouvre en gros les parlers de l’ancienne Provence, du comtat Venaissin et du comté de Nice. On peut y ajouter les parlers de Nîmes et d’Uzès, en Languedoc, qui étaient encore languedociens au XVIIe siècle.Le gascon est presque une langue à part dans le domaine occitan. Ses caractéristiques essentielles sont, en phonétique , le passage de F latin à h (F 稜LIA 礪 hilha , FAR 稜NA 礪 haría , F face="EU Caron" ズRNU 礪 horn , F face="EU Caron" サCU 礪 huèc ), la chute du -n- intervocalique (L NA 礪 lua , FAR 稜NA 礪 harìa , V 勒NA 礪 vía ), l’évolution particulière de la géminée -LL- (en finale, -LL 礪 -th ou -t : B face="EU Caron" ガLLU 礪 bèth /bèt , CAST face="EU Caron" ガLLU 礪 castèth /castèt ; à l’intervocalique, -LL- 礪 -r- : B face="EU Caron" ガLLA 礪 bèra , GALL 稜NA 礪 garía , face="EU Caron" クLLA 礪 era ), le développement d’un a - prosthétique devant un r - initial fortement roulé: arrat , arrasim , arròda (occ. moyen: rat , rasim , ròda ). En morphosyntaxe, on peut signaler un imparfait indicatif spécifique: arridè/arridèva «(il) riait», volè/volèva «(il) volait», dromiva «(il) dormait» (occ. moyen: risiá , voliá , dormiá ); un prétérit également original (types cantè /cantà , arridó /arridoc , dromí , face à l’occitan moyen: cantèt , riguèt , dormiguèt ); la prolifération de particules dites «énonciatives» renforçant l’énonciation verbale (l’òme QUE se n’anèc deu vilatge «l’homme s’en alla du village», «la hemna QUE cantava «la femme chantait»; los chins BE son au lhèit? «les petits sont au lit, n’est-ce pas?»).La «scripta» occitaneLes plus anciens documents dans lesquels on trouve des traces de langue vulgaire remontent à 985 et 989: il s’agit de serments de fidélité écrits en latin et relatifs au château de Lautrec (Tarn). Mais le premier texte juridique connu entièrement écrit en occitan leur est postérieur de plus d’un siècle: il appartient à la région de Rodez et date de 1102.Pour ce qui est des documents littéraires, le plus archaïque est certainement le refrain de l’alba bilingue, en provenance du monastère de Fleury-sur-Loire (Nièvre): il remonte en effet au XIe siècle et peut-être au Xe siècle. Malheureusement, le texte en est trop corrompu pour qu’on puisse en donner une interprétation bien assurée. Viennent ensuite deux textes plus sûrs et de réelle valeur littéraire: le poème de Boèci , fragment de deux cent cinquante-huit vers décasyllabiques de type épique, dont la chronologie est peu sûre (vraisemblablement XI-XIIe siècle); et la Chanson de sainte Foi d’Agen , du milieu du XIe siècle: ce poème, qui compte cinq cent quatre-vingt-treize vers octosyllabiques, relate le martyre et les miracles de la sainte. Peu de temps après commence la floraison lyrique des troubadours, avec Guillaume d’Aquitaine (1071-1127). Voici trois échantillons poétiques occitans empruntés respectivement à Guillaume de Poitiers (XIe-XIIe siècle), à Pierre Goudouli (1580-1649) et à un poète contemporain, Max Rouquette:DIR\La nostr’amor vai enaissi/DIRCom la branca de l’albespiQu’esta sobre l’arbre tremblan,La nuoit, a la ploja ez al gel,Tro l’endeman, que.l sols s’espanPer las fueillas verz e.l ramel.«Il en est de notre amour comme de la branche d’aubépine qui, la nuit, tremble sur l’arbuste, exposée à la pluie et au gel, jusqu’à ce que, le lendemain, le soleil inonde ses feuilles vertes et ses rameaux.»DIR\En vesent còs un camarada/DIRDamb qui sovent avem rigut,Tot l’esprit se m’es esmaugutE ma gaietat retirada;Mès, qui ne se trebola pasSus la pensada d’aquel pasQue n’a plus de retorn al monde,Quand l’òme dins l’atge plus fòrtN’a pas d’amic que le segondeAl duèl d’el e de la mòrt.«En voyant mort un camarade avec qui souvent nous avons ri, tout mon esprit est bouleversé et ma gaieté se retire. Mais qui ne se troublerait à la pensée de ce passage qui n’a plus de retour au monde, quand l’homme au plus fort de son âge n’a pas d’ami qui lui vienne en aide dans son duel avec la mort.»DIR\Çò que cerque, Senhor, en fòra/DIRde tas flors e de tos aucèlses lo desèrt, es la mar grandaenauçada encar de ta man,es lo monde nud de tas aubasquora de tos dets es tombatlis coma una filha sens rauba.Deus lo desèrt ai caminate deus la mar e dins la nuòchonte lo monde se despuòlhae dins la claror de tos fuòcsa ta flatinga s’abandona.«Seigneur, ce que je cherche, en dehors de tes fleurs et de tes oiseaux, c’est le désert, c’est la mer grande soulevée encore par ta main, c’est le monde nu de tes aubes lorsque de tes doigts il tomba, lisse comme une fille nue. Vers le désert j’ai cheminé et vers la mer et dans la nuit, là où le monde se dépouille et, dans la clarté de tes feux, à ta caresse s’abandonne.»La littérature occitaneLa littérature occitane n’a jamais été une littérature nationale au sens moderne du mot, les pays d’oc n’ayant jamais formé une nation. Au Moyen Âge, son domaine appartenait aux juridictions politiques du Saint Empire romain germanique, du comté de Toulouse, du duché d’Aquitaine et du royaume d’Aragon. Plus tard, il appartient aux provinces méridionales de la France. C’est essentiellement une littérature de «civilisation».Sous ce trait général, on peut distinguer trois phases dans sa manifestation concrète: au Moyen Âge, elle fut littérature d’une langue; du XVIe au XIXe siècle, elle fut littérature d’un tempérament; elle devient au XIXe siècle littérature d’un peuple. Naturellement, ces trois traits se compénètrent à chaque époque.Littérature d’une langueL’idée que, pour l’essentiel, une littérature s’identifie à la langue dont elle procède est commune au Moyen Âge: c’est par exemple la conception de Dante. La langue d’oc fut une des premières langues modernes, sinon la première, à se dégager du latin dans la Romania. Ses plus anciens textes littéraires, dont le plus important est le poème de Boèci , datent du Xe siècle. Dès son apparition, la langue littéraire occitane apparaît dans une forme presque parfaite et définitive. Quelles qu’en soient les causes (tradition scripturaire surimposée aux évolutions dialectales ou création d’une koinè à partir des dialectes), elle est l’outil unifié d’une littérature exprimant une unité de civilisation dont l’influence s’étend à toute l’Europe chrétienne, de l’Ibérie au Rhin, de la Sicile à l’Angleterre. On retrouvera ce caractère dans les traités de grammaire de Raimon Vidal de Besalú, les Rasons de trobar destinés aux Catalans, et, de Uc Faidit, le Donats Proençals destiné aux Italiens. Ce même caractère est évident, dès le milieu du XIIe siècle, dans le Codi de Justinien, dont l’influence se fera largement sentir sur la formation de la langue juridique française.Ce «vulgaire illustre» s’impose à la lyrique occidentale avec le premier troubadour connu, Guillaume IX, duc d’Aquitaine (1071-1127), dont l’œuvre, loin d’être contradictoire avec ce qui précède (sinon dans la forme et le style) constitue un nouvel art d’aimer. Cet art d’aimer, débattu et infléchi dans des directions diverses par les premiers troubadours: Jaufré Rudel, Marcabru, Cercamon, Bernard Marti, aboutira à la fin’amor grâce au joy , jeu et joie d’amour. Cette fin’amor emprunta la forme de la canso pour son expression la plus directe et celle des tensons et partimens pour l’expression de ses subtilités. Elle utilise pour s’exprimer soit le style du trobar leu , soit celui du trobar clus , ou ceux du trobar ric et du trobar prim. Au-delà de la monotonie de l’inspiration des épigones, ces diverses voix se feront entendre à travers les œuvres magistrales de Bernard de Ventadour, de Raimbaut d’Aurenja, de la comtesse de Die, de Peire d’Alvernha suivis de Giraut de Bornelh, Arnaud Daniel, Arnaud de Maruelh, Peire Vidal, Peire de Vic, Gaulcelm Faidit, et plus tard encore de Sordel et de Guiraud Riquier.Dès le XIIe siècle – le siècle d’or –, le sirventès , chant d’actualité, enseignement éthique, satire violente, joue un très grand rôle poétique avec Bertrand de Born, poète de la guerre comme de l’amour. Mais c’est au XIIIe siècle, le siècle de la croisade contre les Albigeois, le siècle de la résistance occitane, que le sirventès s’élève au niveau de la satire tragique et épique, avec Peire Cardenal surtout.Les travaux récents d’érudits espagnols et belges laissent entendre que la poésie épique est aussi ancienne en langue d’oc qu’en français. A côté d’œuvres de caractère traditionnel, dont une des plus belles est celle de Girard de Roussillon (XIIe siècle), la langue d’oc a laissé un incontestable chef-d’œuvre avec la seconde partie de la Canson de la croisade albigeoise, dont la modernité est frappante.La littérature narrative, sans même parler de l’abondante littérature religieuse dont la Vida de santa Enimia et la délicieuse Vida de santa Docelina sont les chefs-d’œuvre, est illustrée par le roman arthurien de Jaufré , inspiré de la fin’amor mais si plein d’humour, et surtout par Flamenca , roman de la jalousie mais d’abord roman d’amour, un des joyaux de la littérature médiévale. En prose, les Vidas des troubadours constituent un ensemble où sur des données historiques se greffe un univers romanesque dont s’inspireront les conteurs italiens.Les deux grands siècles de la littérature occitane ancienne se terminent sur une œuvre didactique qui connut une grande vogue, Lo Breviari d’amor de Matfre Ermengaud, franciscain de Béziers adepte du mouvement des Spirituels, qui renouvela à la fin du XIIIe siècle l’éthique d’oc basée sur l’amour, sans pour cela obtenir plus d’indulgence de la part de l’Inquisition qui, instituée à la suite de la croisade contre les Albigeois, a porté un coup mortel à l’inspiration d’oc.Les XIVe et XVe siècles, en dépit de la tentative du Consistori del gai saber en 1323 et de ses Leys d’amor , verront la décadence des lettres d’oc malgré une abondante production dans le domaine religieux et dans celui de la prose de «cité» et de la prose scientifique.Littérature d’un tempéramentLa langue d’oc cesse d’être la langue administrative des cités occitanes au cours du XVIe siècle. La littérature d’oc cesse d’être la littérature d’une langue pour devenir une littérature dialectale. La tradition de langue n’a pas totalement disparu. S’y rattachent, après l’impression du Compendion de l’abaco (abrégé d’arithmétique) du Niçois F. Pellos en 1492, l’Opera nova d’arismethica d’un autre Niçois, F. Fulconis, en 1562, les œuvres religieuses toulousaines, la littérature estudiantine des Ordenansas et de Las Nonpareilhas Receptas. Elle est même en partie redécouverte par Jean de Nostredame au milieu du XVIe siècle, en attendant la reprise de conscience plus poussée de la fin du XVIIIe siècle. Mais le caractère principal des lettres d’oc se trouve ailleurs: dans l’expression d’un tempérament qui se manifeste dans le goût du baroque; dans l’usage d’un burlesque fort différent du burlesque français parce qu’il a ses racines dans le concret et non dans la caricature; et essentiellement dans «l’amour de la nature opposé à l’art». Il s’agit, au fond, de la protestation d’un peuple qui, s’il ne se saisit pas comme tel, se sent toujours lui-même en face d’une culture étrangère de plus en plus centrée autour de la cour et du roi de France.Ces traits, on les retrouve d’abord dans la double renaissance littéraire qui marque le XVIe siècle: la renaissance gasconne, avec Pey de Garros, Salluste du Bartas et Arnaud de Sallette, et la renaissance provençale, avec Jean de Nostredame, Bellaud de La Bellaudière, Michel Tron, Pierre Paul et Robert Ruffi. On les retrouve largement dans l’œuvre contemporaine du Languedocien Auger Gaillard. L’étonnant poème épique de Guillaume Ader, Lo Gentilome gascon (1611), qui célèbre ce parfait Gascon qu’est Henri IV, est une réussite comblée d’enthousiasme poétique. Dans un genre totalement différent, le théâtre carnavalesque du Provençal Claude Brueys, dans le premier tiers du XVIIe siècle, est une manifestation truculente du même tempérament. Malgré son patriotisme linguistique et son humanisme, Godolin, qui occupe la première moitié du XVIIe siècle, illustre la même expression, à travers la variété de son œuvre. Il jouit d’une grande célébrité et fut le chef de file de ceux que l’on appelait alors les poètes gascons. Au début du XVIIIe siècle, on éditera encore ensemble («à Amsterdam») Pierre Godolin le Toulousain, le Nîmois Jean Michel, auteur de L’Embarras de la fieiro de Beucaire , le Montpelliérain Isaac Despuech dit le Sage, satirique et libertin. L’époque de Godolin a connu une abondante floraison d’œuvres drues: parmi les plus remarquables, le théâtre de François de Cortète, le théâtre de Béziers avec P. Bonnet, le théâtre du Provençal G. Zerbin, les poèmes épiques et burlesques de Jean de Valès et Bergoing, l’œuvre lyrique et dramatique de Rousset, celle, idyllique et patriotique, du Gascon Jean-Géraud d’Astros.La deuxième partie du XVIIe siècle et le XVIIIe siècle continuent la tradition, en plein triomphe du classicisme français et du pseudo-classicisme. Le succès du genre des noëls, du Limousin et de l’Auvergne à la Provence et à la Gascogne, en est le signe. L’œuvre de Claude Peyrot, hautement louée par le Mercure de Paris , se verra reprocher les «défauts des Allemands et des Anglais». Le Languedocien J.-B. Favre redonne vie à L’Odyssée et à L’Enéide et crée le petit chef-d’œuvre picaresque qu’est Joan-l’an Pres. En Provence, F. Toussaint Gros entend «faire briller l’innocente malice».À la Révolution éclate toute une poésie populaire et libérée, tandis que le sentiment de la langue, jamais disparu entièrement, reprend avec la redécouverte des troubadours. La convergence de ces divers traits nous vaut l’œuvre d’Antoine Fabre d’Olivet, Le Troubadour, poésies occitaniques du XIIIe siècle. Ces caractères, traditionnels ou renouvelés, renforcés par la découverte du principe des nationalités, ouvrent une ère nouvelle.Littérature d’un peupleAu début du XIXe siècle, le romantisme européen rejoint curieusement, mais naturellement, la tradition des lettres d’oc qu’il modifie et renforce. Cela aboutit à la foisonnante littérature des poètes ouvriers et paysans de 1848, première prise de conscience de la littérature d’un peuple. On en saisit aisément les lignes de force à travers l’œuvre du Marseillais Victor Gelu, auteur de Chansons rudes et sans concession et du roman social Nové Granet ; à travers l’œuvre du célèbre Jasmin que Sainte-Beuve, non sans malice, donnait comme la réussite parfaite du grand poète populaire romantique.Quand paraît Mirèio , en 1859, le génie de Mistral possède tous les éléments d’une nouvelle renaissance: la tradition retrouvée de la littérature d’une langue; celle d’un tempérament jamais étouffé depuis la foudatz (la folie mêlée à la raison) et le naturalisme du premier troubadour, Guillaume d’Aquitaine; la notion d’un peuple qui a le droit de s’exprimer directement dans son langage. C’est pour défendre le «pauvre peuple de Provence / toujours davantage aliéné / sans protection et sans défense / aux outrages abandonné» que Mistral écrira les chefs-d’œuvre qui suivent Mirèio: Calendau (Calendal ), Lis Isclo d’or (Les Îles d’or ), Lis Oulivado (Les Olivades ), Nerto (Nerte ), Lou Poèmo dou Rose (Le Poème du Rhône ), qu’il a fondé le félibrige en 1854, qu’il édifiera le monument de son Tresor dou felibrige.Cette conscience retrouvée, par-delà l’œuvre des «patoisants» qui persiste encore aujourd’hui, animera désormais les lettres d’oc: c’est elle qui fait l’unité des inspirations aussi diverses que les auteurs, à travers tous les genres: poésie, mais ausi roman et théâtre, et à travers les diverses provinces occitanes: Provence, avec Joseph Roumanille, Théodore Aubanel, Félix Gras, Auguste Marin, L. Astruc, Funel, Valère Bernard, Marius André, Joseph d’Arbaud, Sully André Peyre; Languedoc, avec Auguste Fourés, Xavier de Ricard, le fondateur du Parnasse, A. de Roque-Ferrier, A. Perbosc, Bessou; Limousin, avec J. Roux, J.-B. Chèze, P.-L. Grenier, A. Pestour; Auvergne, avec A. Vermenouze; Gascogne, avec Philadelphe de Gerde et M. Camélat. Depuis Mistral et jusqu’à l’entre-deux-guerres, les lettres d’oc ont été plus ou moins prisonnières d’un certain conformisme félibréen qui risquait de les enfermer dans un monde plus rêvé que réel, et de transformer en poncifs ses traits caractéristiques. Entre les deux guerres se produit un renouvellement profond avec des écrivains comme G. Reboul, R. Nelli, Max Rouquette, J. Mouzat. La Seconde Guerre mondiale, la Résistance, la guerre d’Algérie ont profondément modifié le visage des lettres d’oc. Plus que jamais littérature d’une langue, d’une mentalité (on dirait plus justement en oc d’un eime ) et d’un peuple, elles ont abandonné le visage du rêve – même chez les jeunes Provençaux dits «mistraliens», qui se refusaient un moment à suivre la pente des écrivains dits «occitans» –, pour s’inspirer, souvent âprement, des réalités d’un monde moderne qui, ayant fait des pays d’oc un pays aliéné et sous-développé, mettent en danger leur existence même. Les générations d’après guerre mêleront souvent militantisme occitan et création. R. Lafont, Y. Roquette, J. Larzac, J. Boudou seront dans ce cas, avec des œuvres construites autour des thèmes de la décolonisation «de l’intérieur» et du droit des peuples. C’est surtout après 1968 qu’une levée de jeunes écrivains protestataires attaquera sur tous les fronts l’idéologie franco-française et réclamera le droit à la différence. R. Pécout, M. Décor, J.-B. Vazeille, G. Suberroques, relayés par des chanteurs comme Marti, Patric, Marie Rouanet seront dans cette urgence avec quelques aînés, devançant ou illustrant un incontestable succès des aspirations identitaires. Les acquis de l’occitanisme n’empêcheront pas l’éparpillement de l’écriture, ou le silence pour certains. La vague de contestation retombée, des œuvres importantes vont cependant se construire patiemment. M. Rouquette, Y. Rouquette, R. Lafont, B. Manciet, S. Bec reviendront sur la scène, parachevant leur projet selon de nouvelles cohérences. L’accès de la langue à l’école et à l’université, alors que les parlers locaux sont en recul, a modifié considérablement les données. Il existe certes des publics toujours très divers qui attendent une création en occitan. Il y a aussi des disparités régionales entre les usagers de la langue et de la littérature. La situation demeure cependant ouverte. L’individualisme des nouveaux arrivants – J.-F. Brun, A. Surre Garcia, R. Roche – n’est pas sans références à ce que leur langue a su produire de plus fort, et la permanence de cette création en langue d’oc, dans la situation socioculturelle contemporaine est encore un phénomène suffisamment original pour qu’il puisse être remarqué.
Encyclopédie Universelle. 2012.